Petit voyage immobile dans mon village, chez Nano

Nano

Au centre du village grouille un royaume mystérieux à l'odeur de crasse, d'urine, de lait caillé, de mauvaise cuisine. Un royaume tout renfermé sur lui-même avec une grosse reine gonflée de graisse, des boules noires pleines  de poils sur la figure, des cheveux blancs crépus, hirsute.
Cette vieille Nano irradie sa personnalité en ondes si puissantes que nous en sommes tous bousculés. On ne peut dire si elle est malfaisante ou si elle a un coeur d'or. Les adultes parlent de sa pension, à voix baissée, comme d'une lèpre dont on n'a aucun moyen de débarrasser le village.
Cette pension c'est le coeur de Nano. C'est son être qu'elle prolonge hors de son corps volumineux mais trop étroit pour la contenir. Et elles sont toutes deux secouées d'ouragans, de rugissements, qui font frémir le village, les arbres et la terre jusqu'au montagnes derrière et jusqu'à la mer en bas.
La vieille Nano recueille tous les petits miséreux de l'île. On amène chez elle les êtres qu'on refuse. Quand ils arrivent, ils sentent mauvais la peur et l'humilité, ils ont des yeux purulents de malheur. Imperméable à la pitié la vieille tonitrue :
"Allez ranger vos affaires !"
Et elle les bouscule, impatiente, vers le dortoir.
Épiés par une cinquantaine de paires d'yeux durs et affamés de vie, ils s'endorment pour leur dernière nuit d'enfants de misère.
Le lendemain ils se réveillent en plein dans la jungle de Nano. Ils ne savent plus qu'ils ont vécu hier autrement. Elle les porte désormais en elle. Elle leur a déjà fait leur place dans son royaume, une place privilégiée comme celle de chacun des autres. Ils sont là, installés tout d'un coup depuis toujours jusqu'à ce qu'ils en partent. Pour Nano il n'y a pas de passé ni d'après. Les enfants qui sont là sont là c'est tout. Ils peuvent prendre toute la place qu'ils veulent, elle est bien trop immense pour lésiner.
Dans sa pension on n'a pas la moindre idée qu'il existe ailleurs des "valeurs". Il n'est pas "mal" de mentir, de se battre. La violence est partout, violence des actes, violence du verbe. La toute puissance de Nano dispense avec largesse le favoritisme et l'injustice. Personne n'y trouve à redire car personne n'est hors de portée de l'un comme de l'autre.
Elle fulmine, elle hurle :
" Pourquoi hein ?! Pourquoi que t'as pas dit que c'est toi qui l'as volé ?"
Les gosses défient, insultent :
" Mon oeil que j'allais te le dire ! ch'suis pas un rapporteur !"
Nano cogne, fouette, les enfants s'égosillent pour que tout le village entende. Nano ne craint rien au monde ! Les enfants ne le craignent pas non plus. Mais les adultes se soumettent avec crainte car pour eux elle n'a pas d'estime.
Souvent ses rires éclatent dans l'air, assourdissant l'environnage ils déferlent brutalement
dans l'atmosphère, rebondissent sur les montagnes et meurent enfin du côté de l'horizon sur la mer. Alors même ceux qui la détestent au village se sentent délestés d'une espèce d'oppression. Nano est de bonne humeur. Il semble que le ciel se dégage un instant.
Royaume merveilleux qui vit longtemps le soir, bien après l'arrivée de la nuit. L'heure qui voit les enfants sages endormis trouve ceux de Nano échevelés, suant dans des courses effrénées, criant passionnément, se ruant dans les grandes herbes fraîches et odorantes, se cachant dans la chanson tiède des feuillages, les yeux criblés d'étoiles, humides de la rosée tardive, remplis de l'univers sombre, revêtus de la vie comme d'une peau de fauve.
Nano bavarde dans la cuisine, elle les a oubliés.

A midi Nano fait sa sieste.
Elle se couche par terre sur le carrelage frais et pendant deux heures celui ou celle qu'elle a choisi ce jour-là lui tripote les cheveux pendant qu'une de ses fille lui fait la conversation.
Si Nano est née pour dominer, ses filles, fortes de cette puissance maternelle surhumaine, se sont dispensées de toute contrainte vis à vis de la société. Elles n'ont appris ni l'insécurité ni par conséquent l'attention aux autres. Nano les a conçues premières partout. Ne trouvant pas cette place ailleurs, elles sont restées, adultes, dans le royaume que Nano a fait pour les enfants. 
Belles, épaisses, sensuelles et peu intelligentes, elles ont axé toute leur existence sur la conquête de l'homme. C'est le seul moyen qu'elles aient trouvé d'être premières aussi à l'extérieur. Leur vie est celle d'araignées qui tissent et retissent des toiles, des pièges, pour tout ce qui est masculin. Elles vibrent continuellement d'un nouvel amour qui consume pour un moment des corps affamés, des chairs brûlantes. Et les enfants s'émeuvent d'émois inconnus d'eux, et qu'ils gardent secrets, en voyant ces femmes coudre, jusque tard dans la nuit, des paillettes scintillantes à leur décolleté palpitants, ou laquer de rouge violent leurs griffes, tout pénétrés du climat sensuel de ces préparatifs, sentant confusément un danger troublant se tramer autour de quelqu'un qui l'ignorait peut-être encore.
Et ils se demandaient qui passera bientôt avec des rires tremblants la portière de tissu de la chambre, d'où sort une atmosphère si épaisse d'amour qu'ils en sont bouleversés et n'ont jamais osé y pénétrer.
Très prodigues de confidences, elles nourrissent les enfants de leurs attentes, de leurs envies, de leurs passions. Et les yeux des petits guettent la portière quand la victoire des filles les laisse seuls, dehors, étreints d'une curiosité douloureuse pour ce secret qu'ils sentent merveilleux et vital.
Frémissants, ils ont vu ainsi une quantité de visages, toujours joyeux, ressortir de la chambre. Des grands robustes, qui avaient voulu, d'autres qui s'y sont presque fait traîner, des qu'elles ont aimés, des qu'elles n'ont pas eu le temps d'aimer, des qui avaient des principes, des qu'il fallait dépuceler, certains qu'il ne fallait pas laisser échapper vers d'autres filles, plusieurs qui s'ennuyaient ...
Si elles partagent avec les enfants leurs espoirs avant, ils n'accèdent plus à leurs confidences quand la victime a été consommée.
De toutes façons, un jour vient, plus tôt pour certains, plus tard pour d'autres, où la pension retentit de pleurs, de colères, de drame.
La rupture rapproche  les enfants pour de nouvelles aventures; Il y a sans plus tarder une nouvelle toile à tisser.

Les amours tumultueuses des filles de Nano font partie de la vie tranquille et quotidienne de la pension. Nano considère qu'elles sont une raison de vivre suffisante, pour ses filles.
Elle a cessé de s'intéresser aux détails.
Ça a fait tant de bruit dans le village qu'elle sait, comme tout le monde, que Liline a fait casser Yann et sa fiancée ; cette garce , Nano en rigole encore, elle s'est arrangée pour se trouver au lit avec Yann juste à l'heure où la fiancée avait l'habitude de venir faire ses galipettes !!!
Qu'ensuite Yann n'intéresse plus Liline ce n'est pas son problème ; sa fille est assez grande pour régler ses affaires.
Elle sait qu'en ce moment Alfred  vient à midi pour passer dans la chambre des filles pendant qu'elle se fait tripoter les cheveux sous la véranda derrière. Ca ne la surprend pas, déjà de son temps la jeunesse était hypocrite avec les vieux.
Le bruit court que c'est parce que Marthe le trompait que Narcisse s'est tué. Si c'est vrai cela prouve que c'était un idiot. Et en plus il n'a pensé qu'à lui, à aucun moment il n'a pensé à la peine qu'il pouvait faire à Marthe ; d'ailleurs ça n'a pas manqué, la petite en a été bouleversée !
Génie attend un bébé d'elle ne sait trop qui ? Tant mieux ! On ne s'effrayera pas d'un bébé de plus ou de moins dans la maison ! Alors que d'un père ! Que voulez-vous qu'on en fasse ?

   Ouhaaaaaaaaaaa ! C'est magnifique!! C'est prenant.... j'étais partie chez Nano... j'entendais les bruits... je sentais les odeurs.... je voyais quelques sourires édentés et terribles..   et terriblement sympathiques....
J'attends la suite....   Merci Marie-Thé... tu m'enchantes toujours...  

Oups .... je lirai çà plus tard ... pas trop de temps .... j'ai handisport bientôt .... à plus !!!!

  T'as intérêt... 

 


Waouh quelle verve et quel talent !!!!!!!! j'en reste pantoise et en redemande      


Bravo    

C'est très joli ...... c'est vrai qu'on est facilement emmené dans la pension de Nano .... bravo Marie T .... tu a une belle plume nous attendons la suite ... !!!

ben il n'y a pas de suite ; c'est ainsi chez Nano et ça ne changera pas ; rien ne se passe vraiment de neuf.
Bon ça c'est ce que je ressens mais en fait Nano a fini par vieillir, elle a été décorée de la légion d'honneur ce qui a été un pied de nez au village et à ses cancans, sinon elle n'en a eu rien à cirer ; puis elle est morte et ses filles ont tendu une dernière toile, se sont mariées avec le premier tombé dedans, ont eu des enfants et se sont tenues très sagement
 je n'ai aucune idée si elles ont vécu heureuses mais ça ne m'étonnerait pas.

  Tu as un vrai talent de conteuse Marie Thé.... je nous vois bien autour d'un grand feu alors que hurle le vent à l'extérieur... les châtaignes grillent dans la cheminée... tandis que tu nous conte  de belles vies....    

Merci pour le partage Marie T ..... un peu déçu de l'absence de suite ....

 n'étant jamais si bien  servi que par soi meme..... rien ne t'empeche de mettre une suite Sans, je sais que tu as la verve pour !!!!!!

Ben oui Sans ; c'est immobile cette histoire, ya rien qui se passe dans ce village, c'est pour ça que finalement cette famille de Nano se dévoue tant qu'elle peut pour faire le buzz sinon ce serait mortel la vie là-bas 
Mais c'est une bonne idée ça Lou, comment tu aimerais la suite Sans ?
Je vous vois bien tous autour de ma cheminée la bouche grande ouverte sauf pour avaler vos châtaignes Mimi ; j'aimerais beaucoup ça

  Un jour peut-être....   Tout est possible... rien n'est impossible.... seul le "hazzard".. peut décider