Le Grand-Père, l'Enfant et la Mort

Le Grand-Père, l'Enfant et la Mort
 
La maison de torchis crépite au soleil.
Le toit d’écorces de niaouli avec les grosses pierres qui assujettissent l’ensemble, respire tranquillement ; du même souffle léger que les arbres tout près ; l’herbe aux couleurs tendres à l’entour ; la terre battue dans la cour.
Le silence résonne dans la montagne. La solitude brille toute jaune dans la lumière.
Le vieux grand-père, les pieds nus tout déformés avec les orteils qui s’écartent sur le sol, a poussé la barrière. L’enfant porte une canne de bambou avec son fil de nylon et son hameçon pour la pêche. Ils descendent entre les fougères et les bananiers gluants vers la rivière.
L’enfant dit :
« Moi je ne veux pas grandir.
-Ah ? Et pourquoi ?
-Parce que quand on grandit on devient vieux et on meurt.
-Oui
Mais la Mort réserve des surprises. La dernière fois que je suis mort
-Tu es mort déjà toi ?
-Oui
Et toi aussi ; tu ne te rappelles pas ?
-Non
-Non tu ne te rappelles pas.
Nous sommes tous déjà morts une fois.
Mais presque tous l’oublient.
-Pas toi ?
Toi tu ne l’as pas oublié ?
-Je l’avais oublié moi aussi.
Mais si on fait bien attention, c’est une histoire que l’on respire tout doucement en grandissant. Elle est dans les odeurs de la terre et dans le silence. Alors lentement, jour après jour, on se rappelle.
-Moi je ne l’ai jamais respirée.
-Parce que tu es trop petite ou parce que tu ne sais pas encore y faire attention.
- Raconte-moi
- Hé bien c’était moi mais tout à fait différent : un être qui ressemble à rien de ce que tu connais, minuscule.
J’étais tout seul, complètement seul.
Je ne savais pas du tout que tout ce qu’il y a là autour de nous existait quelque part. Ma planète à moi était faite d’eau et moi j’étais dedans. J’étais bien. J’étais heureux.
C’était une planète bien fermée de toutes parts de sorte que je ne voyais rien et que je ne savais pas qu’il y avait l’univers. Pour moi il n’y avait que ma planète et moi qui existions.
Il y avait beaucoup de bruits dans ma planète. Je les connaissais depuis toujours et je ne me posais pas de questions.
-Et tu n’avais pas de maman ?
-Je n’en avais pas besoin. J’étais tout à fait bien et je n’avais besoin de rien.
-Tu n’avais besoin de rien du tout ?
-Non. Je ne mangeais pas, je ne buvais pas, je n’avais ni chaud ni froid, je ne m’ennuyais jamais, j’étais bien. Tout dans ma planète était réglé pour que je n’aie à me préoccuper de rien.
Je n’avais que deux choses à faire : vivre et grandir.
C’était d’ailleurs la seule chose qui aurait pu me préoccuper : je grandissais et ma planète commençait à serrer un peu autour de moi. J’aurais pu me demander comment ça allait finir entre cette planète qui devenait trop petite et moi qui grandissais tout le temps. Mais j’avais confiance.
Il y avait cela et des choses surprenantes qui m’arrivaient : des trous, des bosses, des morceaux de moi qui s’allongeaient … des transformations. J’étais perplexe. Des morceaux de moi pouvaient saisir d’autres morceaux de moi. Dans quels buts ces bouleversements ? Ils étaient inutiles dans ma planète !?
Et un jour j’arrivai au bout de ma planète. Cette fois elle était là, partout tout contre moi. Çà ne pouvait plus du tout aller cette fois !
Et commença entre ma planète et moi un duel !
Au début il me semblait que je pouvais gagner. Je m’arc-boutais et je poussais de toutes mes forces. Je gagnais un peu d’espace et j’avais un petit répit. Ou encore je me tournais dans tous les sens à la recherche d’une position où j’aurais un peu plus de place.
Cela se passait comme cela.
Un jour elle attaqua par surprise et malgré mon étonnement je sentis que le moment était décisif. Il semblait qu’elle ne voulait plus de moi, elle se contractait, elle me poussait elle aussi maintenant de toutes ses forces pour me chasser. Elle était si serrée autour de moi, elle me poussait si fort, que je compris que j’avais perdu la partie et que la planète aurait raison de moi. Le moment de la fin de mon existence était venu ! Je m’affolai, je découvris la peur. Le néant où j’allais disparaître m’épouvantait. Je ne voulais pas, je ne voulais pas mourir !
Et la planète continua de lutter, de me repousser, de me rejeter, de me malmener.
Elle poussa un grand coup, tout craqua. Un grand choc s’abattit sur ma poitrine, cette fois c’était la mort …
Et je me retrouvai sur la Terre !
L’air ! La lumière ! Le langage ! La douleur ! La faim ! Le froid ! Le dur ! Le doux !Les odeurs ! Les couleurs ! Tout cela qui existait dont je n’avais aucune idée auparavant !
Et ma planète, tu sais où elle se trouvait ? Dans une dame !
Et c’est cette dame qui est devenue ma maman.
Moi je croyais que sans ma planète je ne pouvais plus exister !
Et toi tu crois que tu ne peux pas exister sans un corps tel qu’est le nôtre ? C’est parce que nous n’arrivons pas à imaginer ce que nous ne connaissons vraiment pas. Essaie d’imaginer par exemple une couleur que tu n’as jamais vue ?! Tu ne peux pas. C’est toujours à partir des couleurs que tu connais que tu imagines une autre couleur. Personne ne peut imaginer quelque chose de vraiment tout à fait différent, on ne peut imaginer qu’à partir de ce qu’on connaît. Personne ne peut imaginer ce que c’est que mourir parce que personne de vivant ne peut nous raconter ce qu’il n’a pas vu. Dans notre univers, mourir reste hors de la portée de notre imagination.
Dans ma planète, le temps n’avait qu’une dimension, le présent. Car aucune comparaison, pas même avec moi-même, puisque je ne me voyais pas, ne pouvait donner à mon temps une autre dimension. Dans notre univers à toi et moi, le temps a trois dimensions : le passé, le présent, l’avenir, ce qui est passé, ce qui est, ce qui sera. Nous, dans cet univers, sommes témoins de nous-mêmes parce que toutes les contraintes que nous vivons nous font nous ressentir. Le fœtus n’est qu’existence car il ne vit pas de contraintes. La première contrainte qu’il vit est une immense angoisse qui lui donne le sentiment de lui-même et le pressentiment de sa fin imminente. Et puis vient sa mort qui s’appelle la vie ici.
Et lui qui vivait dans l’eau le voilà dans l’air. Ce qui était autour de lui c’est sa mère, maintenant elle est à côté de lui. Une étroite sphère était tout son univers ? Voilà maintenant l’espace, des matières insoupçonnées, terre, bois, métal, tissus, tétine, lait … Voici le langage, l’abstraction ; voici l’usage de ce qui n’avait aucun sens dans sa planète, bouche, poumons, nez … Toute une vie dont il n’avait pu entrevoir la moindre parcelle malgré bien des indices …
Et toute sa vie il ne cessera plus d’abandonner des univers qui s’arrêtent à la distance de ce qu’il voit, de ce qu’il sait. Et toujours ce passage d’un univers familier à un univers inconnu se fera dans la peur.
L’enfant accouché ne peut pas dire au fœtus qu’il a été « Ne t’inquiète pas ! c’est juste un moment difficile à passer mais après tu verras !!! » Non, l’enfant à naître naîtra et toute personne à mourir mourra, nulle autre ne peut le faire à sa place. Sa peur, son angoisse, elle les vivra. Personne ne pourra l’en délivrer. Que de l’avoir vécu. Que d’y être passé.
La dernière fois que nous sommes morts, nous sommes passés de l’existence à l’existence+abstraction. Hé bien même l’abstraction la plus poussée ne peut nous aider à percer le secret de notre prochaine mort. Personne dans cet univers ne peut nous dire ce qu’elle sera pas plus que ce qu’elle ne sera pas …
 
Ils sont revenus, il est midi, la fumée sort du toit. Çà sent bon le ragout et on entend le bruit des couverts que l’on dispose sur la toile cirée. C’est le vieillard qui tient maintenant la canne, l’enfant porte le seau où quelque chose remue dans l’eau.
Grand-mère est allée au-devant d’eux dans la cour, elle se penche sur le seau toute curieuse
MTP

  Comme je suis heureuse de te revoir Marie-Thé!!   Je lirai plus tard... car je suis très intéressée par le manque de vision que les enfants peuvent avoir.... ou pas face à cet évènement naturel qu'est la mort....   à plus........   

  Çà y est Marie-Thé... je t'ai lu attentivement... et j'aime beaucoup ta métaphore.... d'ailleurs j'ai vécu par deux fois l'expérience de la mort imminente... avec le tunnel... les gens au bout.. etc....   et mon explication de cette expérience a toujours été.... la réminiscence de la naissance... du passage  d'un monde à l'autre....   et plus nous avançons ... plus nous nous approchons d'un autre monde...  



En tout cas Merci pour ce joli conte et cette approche de la mort pour la rendre "naturelle" dans l'esprit des petits...   

je trouve que c'est tellement ça ; même pour moi elle me sert bien cette façon de voir ; je sais que je ne peux pas savoir alors vive la vie et on verra quand ça arrivera ; et il y a autre chose : un jour, j'étais petite au pensionnat, et chaque jeudi on allait à la rivière quatre par quatre ; je voyais les grandes sauter de la branche d'un grand arbre au-dessus de l'eau ; ça me disait bien alors à un moment je n'ai pas résisté et j'ai grimpé moi aussi sur l'arbre. Mais là-haut !!! c'était si haut ! Je voulais redescendre j'étais terrifiée. Impossible parce que derrière moi et qui me pressait, il y avait une longue file de grandes, impatientes, qui empêchait tout retour en arrière. J'ai sauté comme on meurt. Et ça a été extraordinaire cette chute fantastique dans l'eau !!! Un bonheur phénoménal ! j'ai recommencé mille fois plutôt qu'une par la suite. Pour moi c'est aussi une expérience de la mort et qui me fait penser qu'il n'y a aucune raison de craindre. Ce sera comme ça : le grand inconnu avec le bonheur au bout 
Leboyer écrivait que l'enfant vivait aussi, de son côté, la naissance dans l'angoisse. Après avoir lu cela j'ai fait très attention de vivre mes accouchements dans la sérénité tendre et en équipe avec mon enfant

Oups .... je reviendrai plus tard .... car çà à l'air sympa comme histoire .... heuuuuu comme toujours !!!!

  J'espère bien que tu vas revenir...    car je suis sûre que çà te plaira....  

Oui c'est vrai que c'est bien écrit et très métaphorique !!!!! et j'adhère parfaitement à cette vision qui est semblable a la représentation que je me fait du " passage " ...... moi je compare ce passage au différent passage d'un papillon ..... l'œuf .... la chenille .... la chrysalide ... et enfin la papillon ... alors chez nous combien d'étape .... et plus encore une question plutôt deux ..... y a t'il un début ....????? et y a t-il une fin ...???

Heuuuuuu merci Marie T de ce merveilleux récit !!!!  .....baci .... baci ....

Oui c'est vrai que l'histoire du papillon c'est pas mal aussi .
La seule leçon à retenir c'est qu'on ne sait rien et que le pire n'est pas sûr. Alors vivons !